C’est avant-hier (le lundi 28 février 2005) que j’ai appris par M. Michel ANTELME, maître de conférences et responsable de la section de khmer à l’Institut National des Langues et Civilisation Orientales, que Mme Madeleine GITEAU, une de plus grands orientalistes françaises, nous a quittés ; cela m’a beaucoup attristé et pourtant je ne l’ai pas personnellement connue. Cependant étant étudiant de khmer, il m’est impossible de ne pas avoir entendu parler de cette grande spécialiste, incontournable sur les études khmères particulièrement sur l’histoire de l’art, l’archéologie mais aussi l’épigraphie.
Madeleine GITEAU est née en 1919, « son enfance à Nantes, dans une famille de marins originaire du Croisic, est bercée par les cartes postales qu'envoie son oncle, receveur des Postes à Pnomh Penh. L'agrégation d'histoire et l'Ecole des Chartes étant, sous le régime de Pétain, interdites aux femmes, elle obtient une licence d’histoire et géographie ainsi qu’un diplôme d’études supérieures de géographie, et envisage l’agrégation. Cependant son attrait pour l’Indochine la pousse à accepter, en 1946, un poste d’enseignante au Cambodge. Elle enseignera pendant dix ans l’histoire au lycée Sisowath de Phnom Penh, ainsi qu’au lycée Descartes et à l’Institut national d’études juridiques. Passionnée par l’histoire et l’archéologie, fascinée depuis toujours par l’Extrême-Orient et douée pour le dessin, elle s’initie à l’histoire, à l’archéologie et à l’iconographie locales, apprend le cambodgien – et se voit bientôt demander d’enseigner aussi l’histoire de l’Asie du Sud-Est et la civilisation cambodgienne.
Lors d’un congé d’un an en France, en 1951, elle commence des études de sanskrit à l’Institut de civilisation indienne. Elle obtiendra un certificat d’études indiennes (1961) et suivra plus tard, en 1970, des cours de pâli.
Elle devient membre correspondant de l’EFEO en 1952. En 1956, elle devient membre permanent et est nommée Conservateur du musée national de Phnom Penh, poste qu’elle conservera pendant dix ans, durée des accords passés en 1956 avec le gouvernement royal du Cambodge. C’est durant cette période qu’elle rédige deux fascicules du catalogue du musée. À partir de 1963, elle est chargée de l’organisation du musée du monastère de Vat Po Veal, à Battambang, puis du musée provincial dans la même ville. De 1966 à 1968, elle est chargée des cours sur l’art khmer à la faculté d’archéologie de l’université royale des beaux-arts. Dans le même temps, elle entreprend des recherches sur le terrain, en particulier un inventaire des richesses artistiques des provinces du Cambodge, portant spécialement sur les sanctuaires modernes possédant des peintures murales. Ces recherches sont interrompues par les bouleversements politiques de 1970.
Entre 1956 et 1970, elle est chargée de missions en Thaïlande, en Indonésie et surtout au Laos (dont une mission de l’Unesco dans ce dernier pays). En mai 1968, à la demande du roi Savang Vatthana, elle établit un catalogue des collections d’art bouddhique du palais de Luang Prabang, dont elle fait une publication.
Elle avait obtenu, en 1966, un diplôme de l’EPHE, sous la direction de J. Filliozat et A. Barreau, avec un mémoire sur la consécration des temples bouddhiques au Cambodge. De retour en France en 1970, elle rédige une thèse sur l’iconographie du Cambodge post-angkorien, sous la direction de C. Caillat et J. Boisselier. En mai 1974, elle obtient le titre de docteur d’État à l’université Paris-III. Son mémoire et sa thèse sont publiés par l’EFEO. En 1977, elle est promue maître de recherche à l’École.
Elle quitte l’EFEO en 1981 pour occuper la chaire d’Histoire et civilisation de l’Asie du Sud et du Sud-Est à l’université de Paris-III. Elle prend sa retraite en octobre 1985, mais demeure professeur émérite de cette même université.
Elle est envoyée en mission par le ministère des Affaires étrangères en 1990, 1991 et 1992, lors de la reprise de contact avec le gouvernement cambodgien. Toujours en mission des Affaires étrangères, elle retourne au Cambodge en juillet 2000, à la demande de la faculté royale d’archéologie de Phnom Penh.
Elle est décédée vendredi à son domicile de Chilly-Mazarin (Essonne) des suites d'une crise cardiaque à l'âge de 86 ans, a-t-on appris mardi à Paris auprès de l'association Accueil Cambodge. Elle sera incinérée selon sa volonté lundi, après une cérémonie religieuse à l'église catholique Sainte-Thérèse de Pierrefitte (93) à 14H00.
Une des étoiles de l’orientalisme s’est éteinte, et personne ne sait dans combien de temps on pourra retrouver quelqu’un qui puisse la remplacer : les spécialistes de l’Asie du Sud-Est sont chaque jour plus rares et la disparition de cette femme remarquable fait un vide supplémentaire dans ce cercle toujours plus étroit.
Theeraphong INTHANO

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